À propos de cette revue

Passerelles SHS est une revue pluridisciplinaire animée par les doctorant•e•s de l’École Doctorale Sociétés, Temps, Territoirs (STT) et de l’École Doctorale Espaces, Sociétés, Civilisations (ESC). Elle met à l’honneur les nombreuses passerelles qui se tissent entre les disciplines à travers les approches pluridisciplinaires en sciences humaines et sociales. La revue Passerelles SHS constitue un espace de réflexion ouvert sur les pratiques et les méthodes de ces démarches scientifiques.

 

Numéro à venir - 2025 - « Débanaliser le banal » en SHS

As-tu pensé à ceux qui viendront maintenant dormir dans notre lit ? Qu’ils se douteront peu [de] ce qu’il a vu ! Ce serait une belle chose à écrire que l’histoire d’un lit ! Il y a ainsi dans chaque objet banal de merveilleuses histoires. Chaque pavé de la rue a peut-être son sublime

Le « banal » est ce qui va de soi, ce qui va sans dire. Objet de consensus, il est donc rarement objet de discussions et encore moins lieu de controverses. À ce titre, les chercheur·e·s en sciences humaines et sociales ont toutes les chances de l’ignorer, tant les traces qu’il laisse sur le terrain et dans les données de recherche sont discrètes. Pourtant, les choses qui vont sans dire ne sont pas toujours les moins signifiantes, bien au contraire. « On s’étonne trop de ce qu’on voit rarement et pas assez de ce qu’on voit tous les jours », comme l’écrivait Mme de Genlis. Aussi, pour son troisième numéro, la revue Passerelles SHS propose-t-elle une invitation à « “Débanaliser” le banal » (Bourdieu 2000). En effet, le « banal », pourtant si essentiel, si incorporé à notre quotidien, est souvent éludé et communément connoté péjorativement. 

Étymologiquement, le terme « banal » est d’abord un adjectif issu du droit féodal désignant des objets, comme le four ou le moulin, à l’usage desquels un seigneur pouvait assujettir ses vassaux contre redevance. Il est associé originellement aux concepts de collectivité et d’obligation. À partir de la fin du XVIIIe siècle, le terme acquiert une seconde acception, péjorative celle-ci, en devenant synonyme de « trivial », d’« excessivement commun ». À l’époque industrielle, est désigné comme « banal » un élément adapté au plus grand nombre d’usagers. Le « banal » se comprend ainsi souvent par opposition au « non-banal », à ce qui est original, personnel et singulier. En cela, le « banal » est en partie tributaire du point de vue d’un sujet, inscrit dans une société et une époque donnée, d’où la relativité cette notion : « Banal à tel moment, non à tel autre » (Quénard 1979, p. 49). Mais, de l’exploration de ces multiples définitions de cet objet difficilement saisissable ressort finalement la richesse intrinsèque à ce grand oublié qu’est « le banal ».

Nous empruntons le titre de l’appel à Bourdieu qui souligne, dans « L’Inconscient d’école », l’importance de « “débanaliser” le banal, de rendre étrange l’évident par la confrontation avec des manières de penser et d’agir étrangères qui sont les évidences des autres » (Bourdieu 2000, p. 4). Nous nous inscrivons également dans la lignée des études réunies par Sandro Landi (2013) dans le Hors-Série de la revue Essais sur L'Estrangement. Retour sur un thème de Carlo Ginzburg. La démarche d’« estrangement » consiste à « rendre visible et [à] formaliser quelque chose qui est paradoxalement sous les yeux de tous, qui appartient au domaine de l’expérience commune, dont la connaissance pourrait pourtant aider à regarder la réalité autrement » (Ginzburg 2001). Par une variation des points de vue et des échelles d’analyse, il s’agit de « dénaturaliser les objets de connaissance, [de] les arracher à l’automatisme de la perception ordinaire du sens commun historique, autrement dit, [de] les “estranger” » (Landi 2013, p. 11). Les articles pourront ainsi mettre en évidence les réflexions épistémologiques et les choix méthodologiques conduisant à une prise en compte du « banal » afin de rendre visible ce qui était « devenu vulgaire, anonyme à force d'être utilisé, vécu, regardé » (CNRTL 2023). Car, en effet, qu’est-ce que « le banal » sinon ce qui constitue notre quotidien, ce que nous ne voyons plus à force de le trop voir ? Dans quelle mesure « le banal » permet-il d’appréhender la structuration des espaces, des sociétés et des structures cognitives ? 

Axe 1 : Un « banal » signifiant et structurant

« Écrire un livre sur rien », comme Flaubert, ou encore exposer un urinoir sous le titre de « Fontaine », comme Duchamp, sont quelques exemples fameux de l’intérêt suscité par « le banal » chez les artistes (Danto, 1989). Les chercheur·e·s en sciences humaines et sociales se sont également emparé·e·s de ce « banal » en décrivant « l’anatomie des existences ordinaires », telle celle de Louis-François Pinagot, sorti de l’oubli par Alain Corbin (2002), en retraçant, à l’instar de Daniel Roche (1997), l’histoire des « choses banales » qui fondent la culture matérielle, en s’interrogeant sur nos manières de parler, de nager, de s’habiller, de s’alimenter  (Giard et Mayol 1994 ; De Certeau 2010 ; Mauss 2021), en tentant de définir la notion de « banalité » en architecture, en marge des classifications des monuments jugés « majeurs » (Quénard 1979) ou encore en analysant, en urbanisme, notre rapport au paysage ordinaire et ses processus de construction, d’appropriation et d’attachement par les habitants (Benages-Albert et Bonin 2013). Aussi invitons-nous les chercheur·e·s à étudier les espaces, les relations sociales, les inconscients, tout ce qui peut être perçu comme « banal » ou qui a fait l’objet d’un processus de (dé)banalisation, comme autant d’éléments structurants. 

Axe 2 : La relativité du « banal » : processus de banalisation et de débanalisation

Si le « banal » structure nos sociétés, il ne peut cependant être considéré comme un invariant. En effet, il semble essentiel de s’interroger sur la relativité du « banal » qui dépend, en réalité, de facteurs temporels, spatiaux et socio-culturels (critères de genre, d’âge, de classe sociale, etc.). Nous encourageons donc les chercheur.e.s. en sciences humaines et sociales à s’interroger sur cette relativité du « banal » ainsi que sur les processus de banalisation ou, à l’inverse de débanalisation, qui s’inscrivent dans une temporalité particulière, associée à d’autres facteurs (sociaux, spatiaux, etc…), ainsi que sur les potentielles résistances intrinsèques à ces processus (Gaillard 2006). En effet, « toute situation “banale” a sans doute commencé par être extraordinaire » (Javeau 1983, p. 344). L’intérêt de l’étude de ces processus a été mis en valeur, entre autres, par les travaux sur les processus de débanalisation ou « dénormalisation » de la pratique du tabagisme selon les classes sociales (Constance et Peretti-Watel 2010), ou encore sur les stratégies mises en place pour « débanaliser le présent ordinaire par l’introduction au souvenir » dans les musées (Trouche 2012). A l’inverse, les processus de banalisation sont au coeur de travaux sur la télévision, d’un symbole social réservé à une élite à un objet de consommation populaire, sur la « banalisation lexicale » (Galisson 1978 ; Albert 2010 ; Durif-Varembont, Mercader et Durif-Varembont 2013), sur la banalisation et « démocratisation culturelle” (Denizot 2012-2014), sur la banalisation d’espaces touristiques (Vles 2011), sans oublier les possibles résistances et compromis entre spécificité et banalisation comme le montre l’étude de la féminisation de la magistrature française (Boigeol 1993). Cela peut aussi être l’occasion de poser des questions méthodologiques liées à la construction des objets d'études ainsi qu'aux sources ou aux données devenues « banales » à force d’être utilisées (Artières 2009), et qui pourraient être réinterrogées sous un angle nouveau. Le “banal n’est jamais banal” (Brochu et Marcotte 2006), car “dès lors qu’on y prête attention, il cesse d’être banal et ne peut qu’étonner l’observateur attentif” (Biron 2017).

Modalités de soumission des propositions

La revue Passerelles SHS est une revue pluridisciplinaire animée par des doctorant·e·s des Écoles doctorales « Sociétés, Temps, Territoires » (STT) et « Espaces, Sociétés, Civilisations » (ESC). Espace de réflexion ouvert sur une pluralité d’objets, de pratiques et de méthodes scientifiques, la revue Passerelles SHS promeut les dialogues entre les disciplines des sciences humaines et sociales dans un esprit pluridisciplinaire. La réception de propositions est close depuis le 1er février 2024

  Bibliographie indicative 

ALBERT, Sabine, 2010, « Robert Galisson : un discours de la méthode recherches de lexicologie descriptive : la banalisation lexicale », Études de linguistique appliquée [en ligne], Vol. 157, n° 1, pp. 2333, Consulté le 25 septembre 2023, URL : https://www.cairn.info/revue-ela-2010-1-page-23.htm?ref=doi

ARTIÈRES, Philippe, 2009, « L’exceptionnel ordinaire. L’historien à l’épreuve des écrits de criminels et vice versa », Sociologie et sociétés [en ligne], Vol. 40, n° 2, pp. 3549, Consulté le 25 septembre 2023, URL : http://id.erudit.org/iderudit/000645ar

BENAGES-ALBERT, Marta et BONIN, Sophie, 2013, « Le rapport au paysage ordinaire. Approche par les pratiques des espaces de proximité », Projets de paysage [en ligne], N° 9, Consulté le 21 septembre 2023, URL : http://journals.openedition.org/paysage/12077

BOIGEOL, Anne, 1993, « La magistrature française au féminin : entre spécificité et banalisation », Droit et Société [en ligne], Vol. 25, n° 1, pp. 489523, Consulté le 25 septembre 2023,URL :https://www.persee.fr/doc/dreso_0769-3362_1993_num_25_1_1241

BOURDIEU, Pierre, 2000, « L’inconscient d’école », Actes de la recherche en sciences sociales [en ligne], Vol. 135, n° 1, pp. 35, Consulté le 21 septembre 2023, URL : https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_2000_num_135_1_2696

Centre national de ressources textuelles et lexicales, Banal https://www.cnrtl.fr/definition/banal/adjectif , consulté le 10 septembre 2023.

CONSTANCE, Jean et PERETTI-WATEL, Patrick, 2010, « La cigarette du pauvre » Ethnologie française [en ligne], Vol. 40, n° 3, pp. 535542, Consulté le 25 septembre 2023], URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-3-page-535.htm?ref=doi

CORBIN, Alain, 2002, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot: sur les traces d’un inconnu, 1798 - 1876, Paris, Flammarion, p. 504. 

DANTO, Arthur Coleman, 1989, La Transfiguration du banal: une philosophie de l’art, Paris, Seuil.

DE CERTEAU, Michel, 2010, Arts de faire, L’invention du quotidien tome 1, Paris, Gallimard.

DE CERTEAU, Michel, GIARD, Luce et MAYOL, Pierre, 1994, Habiter, cuisiner, L’Invention du quotidien tome 2, Paris, Gallimard.

DURIF-VAREMBONT, Jean-Pierre, MERCADER, Patricia et DURIF-VAREMBONT, Christiane, 2013, « Violences en milieu scolaire et banalisation du langage: L’ouverture des médiations de la parole », Adolescence [en ligne], Vol. 31 n°1, pp. 95106, Consulté le 25 septembre 2023, URL : https://www.cairn.info/revue-adolescence-2013-1-page-95.htm?ref=doi

FLAUBERT, Gustave, 1846, Lettre à Louise, Correspondance, Paris, Gallimard, pp. 306-307.

GAILLARD, Isabelle, 2006, « De l’étrange lucarne à la télévision: Histoire d’une banalisation (1949-1984) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire [en ligne], Vol. 91, n° 3, pp. 9, Consulté le 25 septembre 2023, URL : http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-3-page-9.htm

GALISSON, Robert, 1978, Recherches de lexicologie descriptive : la banalisation lexicale Paris, Nathan. 

JAVEAU, Claude, 1983, « Les symboles de la banalisation», Cahiers internationaux de sociologie, N° 75, pp. 343353. 

LANDI, Sandro, 2013, « L’estrangement ». Essais [en ligne], N° Hors-série 1. DOI https:// URL : http://journals.openedition.org/essais/1867

MAUSS, Marcel, 2021, Les techniques du corps, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1139. 

QUENARD, Francis, 1979, Recherche exploratoire : Contribution à la définition de la notion de banalité en architecture, Rapport de recherche, Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-Malaquais; Comité de la recherche et du développement en architecture (CORDA), pp. 98-99.

ROCHE, Daniel, 1997, Histoire des choses banales : naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Fayard.

TROUCHE, Dominique, 2012, « Rendre sensible l’histoire des guerres au musée : Une question d’ambiances ? » Culture & Musées [en ligne], Vol. 20, n° 1, pp. 167185, Consulté le 25 septembre 2023, URL : https://www.persee.fr/doc/pumus_1766-2923_2012_num_20_1_1686

VLES, Vincent, 2011, « Entre redynamisation urbaine et banalisation des espaces : tensions et enjeux de l’urbanisme touristique », Mondes du tourisme [en ligne], N° 3, pp. 1425, Consulté le 25 septembre 2023, URL : http://journals.openedition.org/tourisme/507